22/10/2025

Consultation et co-construction : deux dynamiques, deux leviers pour repenser l’action publique

Des mots souvent confondus, des réalités bien différentes

Les politiques publiques connaissent depuis une quinzaine d’années une accélération de la « démocratisation » de leur élaboration. Mais à l’ère de la participation citoyenne, deux notions cristallisent l’attention autant qu’elles sont souvent amalgamées : la consultation et la co-construction. Derrière des mots proches, les chemins empruntés, le degré d’influence accordé et les finalités poursuivies diffèrent pourtant sensiblement.

Savoir distinguer ces deux logiques ne relève pas d’un exercice de style, mais permet d’orienter le choix des dispositifs et d’en mesurer les impacts sur les décisions publiques. Cela éclaire aussi l’évolution de la démocratie locale et les défis posés à une action publique contemporaine en quête de sens et d’efficacité.

La consultation : recueillir des avis, sans nécessairement partager le pouvoir

La consultation est aujourd’hui le mode de participation citoyenne le plus répandu dans la conception des politiques publiques. Son principe : le décideur sollicite un avis, puis conserve la main sur la décision finale. On parle parfois de « démocratie d’interpellation ».

Les formes courantes de consultation

  • Enquêtes publiques (urbanisme, aménagement, environnement...)
  • Questionnaires en ligne ou sur papier
  • Réunions publiques et forums citoyens
  • Appels à contributions
  • Consultations numériques sur des plateformes dédiées (ex : consultation-citoyenne.gouv.fr, Décidim pour certaines collectivités)

Atouts et limites de la consultation

  • Accessibilité et rapidité : Simple à mettre en œuvre, la consultation permet de toucher un public large, parfois en peu de temps.
  • Format souvent unilatéral : Les citoyens sont écoutés, mais sans engagement formel de prise en compte de leurs propositions.
  • Message envoyé : L’influence réelle sur la décision est limitée, sauf lorsque l’avis consultatif devient mobilisateur (exemple emblématique : le débat public sur le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes en 2016 - Commission nationale du débat public).
  • Risques d’effets contreproductifs : Si la consultation est mal conçue ou non suivie d’effet, elle génère frustration, voire défiance accrue à l’égard de l’action publique (source : Vie-publique.fr).

La consultation, reflet des attentes démocratiques ?

Selon une enquête de l’Institut Delouvrier (2023), 72 % des Français estiment que la consultation de la population doit devenir la règle pour définir les grandes priorités publiques, mais seuls 31 % considèrent que leur avis sera réellement pris en compte (source : Institut Delouvrier).

Ce décalage souligne la nécessité de clarifier le rôle des dispositifs de consultation, et d’éviter l’écueil du simple habillage participatif.

La co-construction : partager la fabrique de la décision

La co-construction va plus loin. Elle ne se limite pas à solliciter une opinion, mais à associer durablement citoyens et parties prenantes à l’élaboration – et parfois à la mise en œuvre – d’une politique ou d’un projet. Son essence : la décision se façonne collectivement, chaque partie faisant valoir sa légitimité, son expertise d’usage ou ses attentes.

Les ingrédients clés de la co-construction

  • Temps long : La co-construction suppose des étapes, des itérations, des points d’étape avec retour sur les apports de chacun.
  • Dialogue et apprentissage mutuel : L’administration devient facilitatrice, et non seule détentrice du savoir ou du processus.
  • Engagement réciproque : Les acteurs partagent la responsabilité du processus et, idéalement, des choix réalisés.
  • Diversité des formats : Ateliers participatifs, dispositifs d’innovation ouverte, budgets participatifs (ex : Ville de Paris), conventions citoyennes, jurys citoyens, hackathons publics.

Illustration : Les budgets participatifs, laboratoire de la co-construction

En 2023, près de 270 collectivités françaises (villes, conseils départementaux, régions) conduisaient un budget participatif permettant aux habitants de proposer, puis de voter pour des projets financés sur fonds publics (source : Observatoire des budgets participatifs). À Paris, la démarche a impliqué en 2020 plus de 130 000 participants, avec 226 projets lauréats à la clé.

Ces dispositifs montrent qu’associer concrètement les citoyens à l’allocation de ressources ou à la décision finale permet de renouveler la relation à l’action publique, mais requiert des investissements en accompagnement, transparence et précisions sur le périmètre du « co-pouvoir » accordé.

Co-construire : opportunité ou défi ?

  • Dynamique inclusive : La co-construction intègre des profils variés : usagers, associations, agents publics, experts, entreprises, citoyens tirés au sort, etc. Cette diversité garantit une vision plus globale et innovante.
  • Innovation sociale : Plusieurs expérimentations ont permis l’émergence de solutions inédites – par exemple, les conventions citoyennes sur le climat ont abouti à des propositions traduites en projets de loi ou mesures concrètes (sources : Convention citoyenne pour le climat, France Info).
  • Exigence méthodologique : La co-construction exige de repenser l’organisation, de former les agents et de poser explicitement les règles du jeu pour éviter la récupération ou la lassitude.
  • Pilotage partagé : La gouvernance est revisitée. La Région Nouvelle-Aquitaine, par exemple, mobilise des démarches de co-construction sur la transition écologique, en associant sociétés civiles, entreprises et élus sur plusieurs mois (ex : nouvelle-aquitaine.fr).

Consultation vs co-construction : 5 points-clés pour comprendre la différence

Critères Consultation Co-construction
Rôle des participants Donner un avis, répondre Élaborer et décider ensemble
Moment d’intervention Surtout en fin de processus (projet finalisé ou en phase avancée) Dès l’amont : depuis la définition jusqu’à l’évaluation
Influence sur la décision Conseil, avis éventuellement pris en compte Impact direct, construction partagée
Rapport à la décision Le décideur tranche in fine Décision collective, responsabilités partagées
Temps et ressources Court à moyen terme, peu de ressources mobilisées Temps long, coordination, méthodologie, animation

Quand et pourquoi recourir à l’un ou l’autre ?

Choisir entre consultation et co-construction dépend du contexte, de l’objet, du calendrier et des ressources disponibles, mais aussi du niveau de maturité participative de la collectivité ou de l’administration. Les deux approches ne sont pas exclusives – elles peuvent se compléter à différentes étapes :

  • La consultation s’avère pertinente pour sonder rapidement l’opinion, enrichir une analyse de besoins, valider ou amender un choix déjà formalisé. Elle convient aussi lorsqu’il s’agit de clarifier les attentes sur un sujet à portée limitée, ou d’ouvrir le dialogue à un public large, par exemple par des consultations numériques sur le plan climat, le développement urbain, etc.
  • La co-construction s’impose lorsque la question pose des enjeux de transformation structurelle, d’innovation ou de confrontation d’intérêts divergents. Elle permet de réconcilier attentes, de produire collectivement des solutions souvent plus adaptées et de renforcer l’appropriation des politiques.

L’Observatoire de la participation (2021) souligne que les démarches participatives hybrides (consultation et co-construction articulées) améliorent la légitimité et l’efficience des politiques publiques, mais requièrent de clarifier à chaque étape ce qui relève de l’écoute, de la décision partagée ou de l’usage du pouvoir institutionnel (Observatoire de la participation).

Effets sur l’action publique locale : changer la donne ou renforcer la défiance ?

Le choix du mode participatif n’est pas anodin. Des expériences menées en Nouvelle-Aquitaine, comme dans d’autres régions, illustrent la nécessité de se doter d’une ingénierie de la participation – animation neutre, retour sur les propositions, restitution fidèle, implication des élus et agents.

L’étude "Les innovations démocratiques en France" du think tank Terra Nova (2022) rappelle que 63 % des participants à des démarches de co-construction se disent plus enclins à s’impliquer dans la vie locale à la suite de leur expérience, contre 41 % pour une simple démarche de consultation.

A contrario, l’écart entre la promesse (participation, influence) et la réalité vécue peut renforcer la défiance – notamment si le citoyen a le sentiment que son engagement n’est qu’une vitrine démocratique.

Vers une culture du dialogue et de l’expérimentation

Consultation et co-construction ne sont pas deux cases à cocher dans un tableau méthodologique, mais deux manières de concevoir la relation entre administration, élus, citoyens et société civile. Si la première peut suffire dans certains contextes, la seconde ouvre un espace d’expérimentation appelé à se multiplier pour affronter la complexité des enjeux publics.

Les collectivités, tant en Nouvelle-Aquitaine qu’ailleurs, voient s’élargir leur palette d’outils et de partenaires pour innover dans la gouvernance des territoires. Renforcer la compréhension de ces différences, s’outiller méthodologiquement, former acteurs et agents, capitaliser les retours d’expérience : autant de leviers pour éviter l’épuisement participatif et construire des politiques publiques en phase avec notre époque.

Le défi le plus stimulant : faire de chaque démarche un véritable apprentissage collectif, où chacun se sentira non seulement écouté, mais aussi co-responsable de la fabrique du bien commun.

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